C’est le titre de l’article que nous avons rédigé Me Laurence Cromp-Lapierre et moi-même pour les Développements récents en droit des affaires (2020). Présenté à l’occasion du colloque le 6 novembre dernier en mode virtuel, pandémie oblige, le texte se retrouve dans le volume publié par les Éditions Yvon Blais.
Voici l’introduction du texte qui vous donne une vue d’ensemble du sujet abordé:
D’apparence technique, le droit de dissidence joue un rôle névralgique dans la protection des actionnaires minoritaires. Il a été qualifié de droit préventif le plus important de la législation sur les sociétés par le professeur Martel[1]. Pour sa part, le professeur MacIntosh l’a désigné de véritable levier d’Archimède du régime des changements fondamentaux[2].
Néanmoins, le droit de dissidence fait l’objet de critiques depuis longue date. Déjà, dans les années 1960, dans son célèbre article où il se désolait de la vacuité conceptuelle de la doctrine en droit des sociétés, le doyen Manning de la Stanford Law School s’interrogeait sur la raison d’être de cet instrument de protection dont il contestait la justification dans une perspective économique[3]. Dans les décennies qui ont suivi, le droit de dissidence a continué de susciter l’intérêt dans la doctrine états-unienne. Dans une perspective fondamentale, des auteurs ont cherché à répondre à la question posée par Manning[4]. Dans une perspective appliquée, d’autres se sont plutôt questionnés quant aux balises guidant la mise en œuvre de ce droit, en se concentrant en particulier sur la notion de juste valeur qui est au centre de ce recours[5]. Aux États-Unis, en particulier, ce questionnement a été ravivé par l’exercice stratégique, voire opportuniste, du droit de dissidence[6].
Au Canada, le droit de dissidence n’a pas suscité autant d’intérêt doctrinal qu’aux États-Unis[7]. Toutefois, les récentes décisions rendues dans les sagas Fibrek[8] et InterOil[9] ont contribué à renouveler l’intérêt à l’égard du droit de dissidence. En effet, ces décisions ont mis en exergue les questionnements que nous retrouvons dans la jurisprudence et la doctrine états-uniennes. De fait, elles ont permis de constater que la fixation de la juste valeur lors de l’exercice du droit de dissidence peut avoir des conséquences notables pour les transactions.
Dans ce contexte, notre étude a pour objectif de faire le point sur l’exercice du droit de dissidence au Canada en nous intéressant à la fixation de la juste valeur en regard de la jurisprudence de la dernière décennie. Dans la première partie, nous effectuons une mise en contexte qui traite de l’historique, de la raison d’être et des modalités du droit de dissidence. Dans la seconde, notre attention se porte sur les approches qui coexistent pour fixer la juste valeur tant au Canada qu’aux États-Unis. Enfin, dans la troisième partie, nous discutons des tendances jurisprudentielles. Tout au long de notre étude, nous insistons sur les choix de politiques soulevés par la fixation de la juste valeur afin de faire ressortir les enjeux qui se dressent derrière un exercice qui peut paraître technique.
Bonne lecture!
[1] Paul Martel, La société par actions au Québec – les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson&Lafleur Martel ltée, 2019, ¶30-69.
[2] Jeffrey G. MacIntosh, « The Shareholders’ Appraisal Right in Canada: A Critical Reappraisal », (1986) 24 Osgoode Hall L.J. 201, 297.
[3] Bayless Manning, The Shareholders’ Appraisal Remedy: An Essay for Frank Coker, (1962) 72 Yale L.J. 223, 245 n.3. C’est dans cet article que Manning formulait cette critique percutante: « Corporation law, as a field of intellectual effort, is dead in the United States […] We have nothing left but our great empty corporation statutes – towering skyscrapers of rusted girders, internally welded together and containing nothing but wind”.
[4] À titre d’exemple, voir Peter C. Letsou, “The Role of Appraisal in Corporate Law”, (1998) 39 B.C.L. Rec. 1121; Alex Peña et Brian JM Quinn, “Appraisal Confusion: The Intended and Unintended Consequences of Delaware’s Nascent Pristine Deal Process Standard”, (2019) 103 Marquette L. Rec. 457.
[5] Voir Lawrence Hamermesh et Michael L. Wachter, “The Fair Value of Cornfields in Delaware Appraisal Law”, [2005] J. Corp. L. 119; Albert H. Choi et Eric Talley, “Appraising the “Merger Price” Appraisal Rule”, (2018) 34 J. Law Econ & Org. 543.
[6] William J. Carney et Keith Sharfman, “The Death of Appraisal Arbitrage: Ending Windfalls for Deal Dissenters”, (2018) 43 Del. J. Corp. L. 61; Guhan Subramanian, “Appraisal after Dell”, dans Steven Davidoff Solomon et Randall S. Thomas, dir., The Corporate Contract in Changing Times: Is the Law Keeping Up?, Chicago, University of Chicago Press, 2019, p. 222.
[7] Pour un article récent, voir Hugo Margoc, “Appraisal Rights Arbitrage: What Can Canada Learn from the Big Brother”, (2016) 58 Can Bus LJ 255.
[8] Fixation des actions de Fibrek inc., 2019 QCCS 4003.
[9] Carlock c. ExxonMobil Canada Holdings ULC, 2020 YKCA 4.