
Tel que je l’ai écris dans un billet précédant, j’ai eu le privilège de participer à une table-ronde sur l’avenir des marchés de capitaux au Canada dans la foulée de la publication du Rapport final du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers de l’Ontario.
En préparation de la table-ronde, j’ai eu l’occasion de discuter avec plusieurs professionnel.le.s qui m’ont fait part de leur vision des enjeux. J’ai aussi consacré plusieurs heures à des lectures académiques est professionnelles, tant en droit qu’en économie.
Avec le format de la table-ronde, axé (à juste titre) sur de courtes interventions et le dialogue, bon nombre des questions ont été effleurées. Voici donc des observations plus détaillées (et structurées) autour de la première des trois questions adressées. Dans de prochains billets, j’aborderai les autres questions en réfléchissant à la suite.
Comment les investisseurs étrangers perçoivent-ils le Canada comme endroit pour investir?
Cette question est très vaste, comme vous pouvez bien le comprendre. Pour y répondre, je me suis concentré sur ce qui m’apparaissait être les critères fondamentaux de marchés attrayants: l’équité et l’efficience. Deux facettes ont retenu plus particulièrement mon attention.
La facette juridique est bien entendu la première. Cette facette, dont l’importance a été reconnue par un rapport du Conference Board of Canada en 2010, a fait l’objet de nombreuses études depuis 25 ans dans la foulée de l’émergence de la théorie juridico-financière. En un mot, malgré les controverses qu’elle a soulevées, cette théorie a rappelé (surtout aux économistes) que la règle de droit jouait un rôle névralgique pour soutenir le développement des marchés financiers. À cet égard, j’ai souligné que le Canada dispose de législations sur les sociétés par actions de premier rang qui offrent une grande flexibilité tout en assurant la protection des actionnaires minoritaires. J’ai aussi rappelé que ces législations proposaient un encadrement de la gouvernance – notamment par l’entremise de l’obligation de loyauté – qui permettait aux administrateurs de faire face aux défis environnementaux et sociaux actuels.
J’ai également signalé que l’encadrement des secteur des valeurs mobilières et financiers n’avait rien à envier aux autres pays du G20, comme l’a reconnu à de maintes reprises des organisations internationales comme le Fonds monétaire international. En effet, notre encadrement est tout à fait au diapason des Principes de l’Organisation internationale des commissions de valeurs. Au-delà des règles, la qualité de la mise en application est importante et à cet égard des avancées importantes ont été faites au cours de la dernière décennie sur le plan des instruments et du niveau d’activités des régulateurs, même si d’importants défis demeurent.
La seconde facette de ma réponse a insisté sur les particularités institutionnelles des marchés canadiens qui influent sur l’équité et l’efficience. Parmi ces particularités, soulignons la petite taille des marchés de capitaux canadiens comparativement à ceux des États-Unis et de l’Europe. Comme le notait une étude de la Banque du Canada, « [s]’il est vrai que la taille en soi ne confère pas une plus grande efficience, elle peut y contribuer en augmentant le potentiel de liquidité du marché et la diversité des produits ». Autre particularité, les marchés canadiens ont une structure bifurquée avec un grand nombre de petits émetteurs et un petit nombre de grands émetteurs. Ceci signifie que toute discussion sur la qualité des marchés (efficience informationnelle, liquidité, etc.) doit être contextualisée (voir ici). Du reste, s’agissant de la fragmentation des marchés, la croissance du nombre de marchés secondaires organisés a globalement été bénéfique, se traduisant par une réduction des coûts de transaction et de l’innovation du côté des produits offerts (par ex. la possibilité de formuler des ordres opaques ou invisibles). Si certains s’inquiètent de l’impact de la fragmentation pour le processus de fixation des prix, les règles canadiennes de protection des ordres et de meilleure exécution font en sorte que « les différents marchés boursiers canadiens fonctionnent beaucoup plus comme un marché homogène que comme des entités dissociées », selon une autre étude de la Banque du Canada. Tout de même, des préoccupations subsistent relativement à la complexité causée par la fragmentation.
Au final, comme le notait Pierre Lortie dans une étude, le test le plus important relativement à la qualité des marchés de capitaux concerne le coût du capital. À cet égard, la conclusion d’une autre étude de la Banque du Canada, citée par Lortie, est éloquente: « The empirical evidence supporting this view is mixed. Multi-country studies indicate that the costs of equity for Canada and for the United States are comparatively close on a worldwide scale.”
En conclusion, y a-t-il place à amélioration? Certainement. Et c’est pour cette raison qu’il est souhaitable d’avoir des groupes de travail comme celui mis sur pied en Ontario. En effet, nous nous devons de veiller à ce que les marchés financiers canadiens puissent tenir bon face aux marchés financiers américains qui offrent une profondeur et une liquidité inégalées. Mais dans nos efforts d’amélioration, nous devons reconnaître que les caractéristiques institutionnelles des marchés boursiers canadiens ne peuvent être modifiées rapidement ni facilement. Il faut donc prendre garde à la pensé magique.