Les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont définitivement passées au premier plan en 2020 et devraient continuer de prendre de l’ampleur en 2021 à la lumière d’un certain nombre de développements.
Au Canada, plus de 2 000 milliards de dollars d’actifs sont désormais alloués à des fonds intégrant les facteurs ESG dans la sélection et la gestion des investissements. De plus, une proportion importante des investisseurs institutionnels canadiens ont modifié leur politique de vote ou d’engagement pour être plus attentifs aux risques ESG. À cet égard, un groupe important d’investisseurs institutionnels canadiens a publié en 2018 un guide qui énonce leurs attentes concernant la surveillance du conseil et la divulgation des questions environnementales et sociales aux émetteurs. Bien entendu, la tendance ne se limite pas au Canada, les trois plus grands fournisseurs de fonds indiciels se faisant de plus en plus entendre sur les enjeux ESG, et en particulier sur les changements climatiques(voir ici, ici et ici).
Les conseillers en vote par procuration ont reconnu la pertinence des questions ESG dans leurs lignes directrices. Par exemple, Glass Lewis a formulé des recommandations concernant l’élection des administrateurs qui s’appliquent lorsqu’il est clair que les risques environnementaux et sociaux n’ont pas été correctement gérés ou atténués au détriment de la valeur pour les actionnaires. ISS a publié des lignes directrices de vote sur la durabilité 2020 qui couvrent un large éventail de sujets. Parmi les éléments notables figure la position selon laquelle ISS «soutient généralement les propositions d’actionnaires ESG basées sur des normes qui améliorent la valeur à long terme pour les actionnaires et les parties prenantes tout en alignant les intérêts de l’entreprise sur ceux de la société dans son ensemble».
Les conseils d’administration sont bien conscients de l’intérêt croissant des investisseurs pour les questions ESG. La publication de l’énoncé sur la finalité de l’entreprise par le Business Roundtable a contribué à ajouter une pertinence supplémentaire à la discussion de ces questions dans les salles de conseil. Et, bien entendu, la crise sanitaire que nous vivons a propulsé les enjeux ESG, et en particulier la protection des travailleurs, en tête de file dans les préoccupations des administrateurs.
L’intérêt pour les facteurs environnementaux et sociaux trouve écho du côté des régulateurs (qui encadrent depuis plusieurs années la gouvernance). À titre d’exemple, citons la prise de position récente sur les changements climatiques des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) dans l’Avis 51-358 du personnel sur la déclaration des risques liés aux changements climatiques. Bien qu’il ne crée pas de nouvelles exigences juridiques, l’Av 51-358 renforce et élargit les directives antérieures du personnel des ACVM sur les rapports environnementaux. L’initiative met l’accent sur l’importance de la divulgation des risques importants liés au changement climatique aux régulateurs et aux investisseurs. Avant cela, l’Autorité des marchés financiers avait adopté l’Avis relatif aux obligations d’information en matière d’esclavage moderne, reconnaissant, ce faisant, que « les investisseurs s’intéressent de plus en plus aux risques liés à la responsabilité sociale des émetteurs, ce qui inclut l’esclavage moderne. »
En 2021, ce qui est particulièrement à surveiller est l’entrée en scène plus structurée des régulateurs en matière de divulgation ESG.
Jusqu’à présent, comme les quelques exemples cités ci-haut l’illustrent, les régulateurs canadiens ont favorisé une approche très prudente relativement à la divulgation ESG. Cette approche s’expliquait par l’absence de consensus quant au cadre de référence à adopter pour la divulgation de ces facteurs. Toutefois, une cristallisation du consensus est en voie de s’opérer en faveur des cadres du TCFD et du SASB à l’initiative des grands investisseurs institutionnels canadiens.
Dans ce contexte, il en va du rôle des régulateurs d’intervenir pour assurer la standardisation, ainsi que la qualité et la fiabilité de la divulgation ESG, comme l’a reconnu l’OICV-IOSCO dans son rapport Sustainable Finance and the Role of Securities Regulators and IOSCO publié en avril 2020. De plus, l’intérêt des investisseurs pour les facteurs ESG altèrent la notion d’importance (materiality), un effet qui interpelle directement les régulateurs, comme le soulignait le rapport Disclosure of Environmental, Social, and Governance Factors and Options to Enhance Them publié par le U.S. Government Accountability Office (GAO) en juillet 2020.
Si, pour l’instant, les ACVM n’ont pas fait de cette question une priorité stratégique dans leur plan d’affaires (2019-2022), les choses pourraient bien changer puisque le rapport de consultation du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers de l’Ontario publié en juillet dernier « propose de rendre obligatoire la divulgation de l’information importante relative aux facteurs ESG, conformément aux recommandations soit du TCFD soit du SASB pour les émetteurs dans le cadre des exigences réglementaires de déclaration de la CVMO ». Comme un observateur le remarquait récemment, une intervention réglementaire paraît incontournable afin de préserver l’attractivité des marchés financiers canadiens.