
Plus tôt cette semaine Me Peter Dey et la Pre Sarah Kaplan ont publié le Rapport intitulé 360o Governance: Where Are the Directors in a Time of Crisis? sous l’égide du Michael Lee-Chin Family Institute for Corporate Citizenship du Rotman School of Management de l’Université de Toronto. Le même jour paraissait une lettre d’opinion des auteurs du rapport dans le Globe and Mail qui en esquissait les grandes lignes. Ce rapport devance celui que nous pouvions attendre du Comité pour définir l’avenir de la gouvernance au Canada, une initiative conjointe du Groupe TMX et de l’Institut des administrateurs de sociétés sur l’avenir de la gouvernance de sociétés au Canada. Compte tenu de l’importance du Rapport 360o Governance, je vais procéder à son analyse en trois billets: 1) la mise en contexte; 2) les recommandations; 3) les suites.
Commençons par la mise en contexte, Il y a plus de vingt-cinq ans, le Comité de la Bourse de Toronto présidé par Me Peter Dey présentait son célèbre rapport intitulé Where Were the Directors? Le rapport énonçait une douzaine de lignes directrices destinées à améliorer le rôle du conseil d’administration dans la prise de décision. Conformément aux recommandations du Rapport Dey, les lignes directrices ont été mises en œuvre par la Bourse de Toronto au moyen de l’approche « se conformer ou s’expliquer » (comply or explain). Par la suite, la vague de scandales financiers du début des années 2000 aux États-Unis, suivie de l’adoption de la Loi Sarbanes-Oxley (SOX), ont amené les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) à initier une réforme de la gouvernance, inspirée de SOX. Cette réforme lancée en 2003 s’est traduite par l’adoption d’instruments proposant des pratiques exemplaires de gouvernance (Règlement 58-101 et Instruction générale 58-201), ainsi que visant à améliorer l’intégrité de l’information financières (Règlements 52-108, 52-109 et 52-110).
Comme je le soulignais dans un texte publié à l’occasion du 15e anniversaire de SOX dans le cadre des développements récents en droit des affaires (2017), depuis l’adoption des principales normes de gouvernance en 2003, les ACVM ont continué à s’intéresser à la gouvernance. Entre autres, elles ont mené des examens périodiques de la qualité de la divulgation en regard des exigences du Règlement 58-101 . Elles ont modifié l’Instruction générale 58-201 pour traiter de la diversité. Enfin, les ACVM elles ont envisagé de plus ambitieuses réformes du Règlement 58-101 et de l’Instruction générale 58-201, l’une qui impliquait l’adoption d’une approche fondée sur les principes , l’autre une adaptation à la réalité des émetteurs émergents , réformes qui sont demeurées lettres mortes.
Néanmoins, les pratiques exemplaires de gouvernance énoncées dans l’Instruction générale 58-201 n’ont pas fait l’objet de modifications substantielles. Pourtant, comme le notent les ACVM dans le préambule de cette instruction générale, il est nécessaire « de prendre en compte le caractère évolutif de la gouvernance ». Or, un regard à l’étranger nous force à constater que l’actualisation des pratiques de gouvernance canadiennes n’a pas suivi le rythme qu’ont connu les codes de gouvernance d’entreprise en vigueur dans de nombreux pays qui ont été revus périodiquement durant la même période. Encore plus important, l’environnement de la gouvernance d’entreprise s’est considérablement transformé au cours des dernières années, avec la montée en puissance de l’investissement socialement responsable et la prise en compte des facteurs ESG, transformation qui a été propulsée par les changements climatiques et plus récemment la pandémie de la Covid-19. C’est donc avec cette toile de fond qu’est publié le rapport 360o Governance.
D’emblée, le rapport note cette transformation de la gouvernance en mettant en relief le rôle central des parties prenantes dans la création de valeur:
It is increasingly clear that corporations depend on a wide variety of stakeholders to function effectively. Customers, the planet, workers, communities and others offer the resources and markets required to grow businesses.
360o Governance
En parallèle, le rapport note que les activités des sociétés par actions génèrent toutefois des « externalités négatives » pour les parties prenantes, c.-à-d. des coûts qui ne sont pas pris en compte (internalisés), ce qui fait en sorte que les actionnaires sont privilégiés dans ce modèle: ils profitent des rendements générés par la prise de risque, sans toutefois assumer entièrement les coûts des activités des entreprises. Pour les auteurs du rapport, cette situation ne peut plus durer, surtout que de nombreuses forces convergent maintenant pour exiger une gouvernance allant au-delà de la valeur actionnariale.
Even before the COVID-19 pandemic, society was placing greater social expectations on corporations. The critique of the corporation accelerated during the 2008–2009 financial crisis, in which social inequities became increasingly vivid. The Occupy movement made possible a broader social conversation about the role of the corporation in society. Workers (especially Millennial and Gen Z, and likely COVID’s new Gen C) only want to work for companies that don’t do harm; consumers steer away from products from companies with bad reputations; “clicktivists” can create reputational harm through social media, etc. It is no longer enough for companies to say they are “law and regulation abiding.”
360o Governance
Pour cette raison, Dey et Kaplan sont d’avis que de nouvelles lignes directrices sur la gouvernance s’imposent. Ces lignes directrices doivent reconnaître le rôle économique et social positif des entreprises, tout en visant la mitigation des problèmes mentionnés ci-dessus: « understanding stakeholder impacts can contribute to the long-term sustainability of the corporation’s business, help avoid catastrophic risk and lead to transformative growth opportunities ».
Plus particulièrement, le rapport identifie une série de facteurs fournissant une impulsion pour ce virage, soit:
- La législation et la réglementation
- Les demandes des consommateurs
- La « guerre » pour le talent
- Les perturbations opérationnelles (notamment celles résultant des changements climatiques)
- L’influence positive des facteurs ESG sur le rendement
- Les attentes des actionnaires
Jetant un regard à travers le monde Dey et Kaplan constatent d’ailleurs que le Canada accuse un retard, s’agissant de l’évolution de son modèle de gouvernance (tel que je l’avais noté précédemment).
Pour combler ces lacunes, le rapport proposent des lignes directrices qui ont pour objectif d’assister les administrateurs à adhérer à un modèle de gouvernance qui intègre l’ensemble des parties prenantes à la prise de décision: « For myriad reasons, addressing impacts on stakeholders must be central to corporate governance because stakeholders create enterprise risks as well as strategic opportunities for innovation, growth and transformation. » Les auteurs signalent cependant qu’ils n’abordent pas cette question dans une perspective conflictuelle, s’agissant des intérêts des actionnaires et des autres parties prenantes.
Le fil conducteur des lignes directrices s’est construit au regard d’une revue de littérature et de consultation menées par les auteurs auprès d’acteurs du milieu. Il consiste en la reconnaissance de l’importance de la gestion des parties prenantes comme compétence fondamentale du conseil d’administration : « We conclude—from our consultations, a review of existing governance guidance and a reading of the academic research—that stakeholder management is a necessary board competency in the 21st century. »
Effective boards will need to be expert in recognizing ways that their companies’ interests could have adverse impacts on stakeholders and seek to resolve these tensions in creative and generative ways.
360o Governance
Dans cette perspective, le rapport propose treize (13) lignes directrices pour soutenir les conseils d’administration dans le développement de cette compétence en matière de gestion des parties prenantes. Ce sont des lignes directrices puisque les auteurs sont d’avis que la gouvernance doit être adaptée à la réalité des entreprises: » Good governance is a journey, not a destination, and each board of directors needs to look towards its next step on that journey. »
Dans un prochain billet, je passerai en revue les lignes directrices proposées par le Rapport 360o Governance.